La salive est un allié bien connu des chirurgiens-dentistes. Malheureusement, c’est son absence qui révèle le plus souvent son utilité : elle favorise le bien-être buccal en humidifiant et lubrifiant les surfaces muqueuses et en protégeant les dents des phénomènes de déminéralisation par, entre autres, les systèmes de régulation du pH. Mais la salive, ou plutôt ce que nous devrions appeler le « fluide buccal », est bien plus complexe et pourra s’avérer encore plus utile dans le futur. En effet, il a une double origine : sérique avec le fluide gingival, et sécrétoire via les glandes salivaires. Ainsi, d’un côté l’exsudat au niveau du sillon gingivo-dentaire peut refléter la composition sérique, de l’autre, les glandes salivaires jouent un rôle sécréteur mais permettent également l’élimination de diverses substances. Ces deux phénomènes sont utilisés par le chirurgien-dentiste dans le cadre de l’antibiothérapie systémique par exemple qui doit être délivrée au niveau buccal.
La sécrétion salivaire et l’exsudat sérique au niveau du sillon gingivo-
dentaire sont loin d’être négligeables et peuvent atteindre jusqu’à 1,5 litre par jour. Par sa composition, le fluide buccal joue un rôle majeur au sein de la cavité buccale dont il assure l’homéostasie, notamment à travers le maintien de l’équilibre de la flore microbienne. La présence dans ce fluide de marqueurs biologiques détectables renseignant sur l’état de santé de l’individu et la facilité de prélèvement ouvre des possibilités encore sous-exploitées à ce jour (fig. 1).
Tests salivaires et pathologies bucco-dentaires
Du strict point de vue de la médecine bucco-dentaire, ou plutôt du chirurgien-dentiste, le fluide buccal peut être un outil d’aide au diagnostic et à la prévention des maladies buccales.
Ces dernières sont le résultat du mode de vie du patient, de son terrain génétique, mais aussi de la composition du fluide buccal modulant la flore microbienne. Certains éléments extérieurs tels que les apports répétés de sucres favoriseront les bactéries acidophiles et aciduriques et finalement l’apparition de caries ; le tabac et l’alcool favoriseront les problèmes parodontaux et les cancers ; et, enfin, une mauvaise hygiène bucco-dentaire aggravera ces pathologies. D’autres éléments perturbateurs peuvent également intervenir tels qu’une baisse de la sécrétion salivaire soit lors du vieillissement, soit dans le cadre de certaines pathologies, ou bien encore lors de la prise de médicaments, engendrant des pathologies dentaires. Le diabète pourra également influencer la santé bucco-dentaire avec des complications parodontales. Des tests salivaires permettent essentiellement de compléter l’examen buccal du chirurgien-dentiste (examens complémentaires). Certains de ces tests existent déjà sur le marché mais ne font souvent que confirmer ce que le chirurgien-dentiste a objectivé visuellement ou radiologiquement. Cependant, les risques carieux, parodontaux et cancéreux au niveau buccal peuvent se révéler plus compliqués à diagnostiquer lorsqu’aucun signe n’est encore visible. Ces tests salivaires ou de fluide buccal permettraient de détecter des patients à risque et ainsi de permettre la mise en place de stratégies de prévention précoces.
Un exemple simple est la parodontite : le diagnostic précis est souvent considéré comme compliqué à établir et chronophage, nécessitant la réalisation d’un sondage et de radiographies de l’ensemble des dents. Ces examens sont malheureusement souvent réalisés lorsque les atteintes osseuses sont déjà importantes. Ainsi, la standardisation de tests biologiques non dépendants de la technique de l’opérateur et non chronophages pourrait être bénéfique pour le patient et le chirurgien-dentiste. Ceci, aussi bien au niveau de la détection de patients à risque, avant même les premières pertes osseuses, que pour le suivi de l’efficacité du traitement en cours (fig. 2).
Le développement de ces tests en parodontologie est encore aujourd’hui un réel enjeu et l’association de différentes approches sera sans aucun doute nécessaire telles qu’une identification combinée de marqueurs d’ADN bactériens et du patient ainsi que de molécules inflammatoires libérées ou encore la détection des enzymes responsables de la destruction du parodonte, comme le décrit la revue de Ji et Choy en 2015 [4].
Tests salivaires et pathologies générales
Du point de vue de la santé en général, ces tests salivaires ou de fluide buccal permettraient également de détecter des patients à risque pour diverses pathologies systémiques. Plusieurs phénomènes peuvent entrer en jeux. D’un côté, les bactéries buccales peuvent être une source d’inflammation locale diffusable ainsi que de dissémination de produits toxiques, voire des bactéries elles-mêmes (bactériémie) ayant potentiellement des effets systémiques (risques cardio-vasculaires, articulaires…).
De l’autre côté, les maladies systémiques sont associées à la libération de molécules qui sont dosables au niveau sanguin mais qui peuvent aussi être retrouvées dans le fluide buccal et ainsi informer sur l’état de santé général de nos patients avant même que des complications n’apparaissent, que ce soit au niveau buccal ou systémique.
En effet, certaines maladies systémiques telles que le diabète ou encore la polyarthrite rhumatoïde ont des répercussions au niveau parodontal et ces complications influencent en retour l’atteinte systémique [1, 2]. Ainsi, la détection fine par le dosage salivaire des molécules caractéristiques de certaines pathologies systémiques ou de pathogènes particulièrement virulents à leur stade infra-clinique, permettrait la mise en place d’une surveillance précoce chez nos patients.
L’avantage évident de ces tests salivaires est la facilité de prélèvement du fluide buccal. Ces tests sont non invasifs et peuvent être réalisés de manière répétée sans inconvénient majeur pour le patient, au fauteuil du chirurgien-dentiste lors de visites de routine, voire par le patient lui-même (tableau). Le suivi sera alors simplifié, que ce soit pour contrôler l’efficacité d’un traitement, l’évolution d’une maladie ou encore détecter les personnes à risque avant même qu’elles ne développent la symptomatologie clinique [3].
Ainsi, au cours de cette conférence, nous définirons le fluide buccal puis nous verrons les composants importants dont le dosage ou la détection peuvent donner une information sur l’état de santé buccale du patient.
Nous aborderons également les différentes maladies où ce fluide peut être utilisé à des fins diagnostiques. Nous évaluerons les différents facteurs à considérer au cours du développement d’un kit diagnostique ainsi que les méthodes de prélèvements qui peuvent influencer les résultats.
Les différents kits actuellement présents sur le marché seront présentés et enfin les développements en cours par la recherche bucco-dentaire mais également les développements d’un point de vue de la santé générale seront abordés. En effet, la recherche sur les kits salivaires a explosé ces dernières années avec la multiplication des tests de détection des drogues, des tests génétiques, et dans un futur proche, des tests de dépistages pour la maladie d’Alzheimer et différents cancers.
Vincent Meuric, Shao Bing Fong, Martine Bonnaure-Mallet
CHU Rennes, EA 1254 Microbiologie Risques infectieux, Université de Rennes 1
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